Avant notre venue, ce jour, sur l’austère plateau de Calern que les vents avec constance balaient, aiguisant sans cesse ses flancs acérés qui figurent comme des écailles surnuméraires toujours prêtes à en cisailler l’étique vastitude et y creusant des trous qui ressemblent à des tombeaux, il n’y avait rien. Pas âme qui daignât seulement y monter pour en apprécier la menaçante quiétude. Tout au plus des fleurs. Des orchidées par milliers, toutes identiques les unes aux autres comme des clones fragiles d’une téméraire mais éphémère beauté. Quelques endémiques sans imagination. Un pauvre serpent en voie de disparition.

C’est par où la disparition ?

Tu vois le trou, là ?

L’aven ?

Ouais, l’aven. Eh ben la disparition, c’est par là. Allez hop du balai… (on aurait pu dire aussi : “allez hop, au trou…” mais à vrai dire peu importe car le résultat aurait été le même.)

Et en coup de vent, un seul, si l’on n’y prend pas garde, la vipère d’Orsini disparaîtra. Elle aura fait son temps. Elle aura fait son trou. Et l’on n’entendra plus parler d’elle.

Avant notre venue, donc, il n’y avait rien. Qu’une étendue de pierres éparpillées entre des dolines nonchalantes. Puis nous sommes passés. Et nous aurons laissé, dans notre sillage, le début d’une autre ère. La première pierre qui se sera jamais dressée contre l’inhospitalité de ses soeurs maudites. Une pierre mariée avec le vent. Qui enfantera des miracles…